Il y a dans le travail manuel une noblesse qui m'enchante

 
Avant de créer son bestiaire insolite, Marie Delarue a emprunté bien des sentiers artistiques. Après la musique (la flûte traversière puis le chant classique), et l'écriture (lauréate du prix de la Nouvelle en 1985, elle a publié une dizaine d'ouvrages), elle est partie du côté des formes.
Avec les sons et les mots est né le besoin d'éprouver encore une autre dimension, comme une autre manière d'être et de dire : la confrontation avec la matière.


Marie Delarue, dans quel courant vous inscrivez-vous, quelle appartenance ?
 
Franchement, c'est une question que je ne me suis pas posée. Mes “chimères”, ces compagnons insolites, sont l'aboutissement d'un travail qui a démarré il y a plus de vingt ans par des collages mis en regard de mes textes. Puis les collages ont pris de l'épaisseur, de la matière, et de deux dimensions je suis passée à trois. On m'a dit un jour que je faisais de “l'art singulier”. Pourquoi pas. Il paraît que j'ai toujours été une personne assez singulière…
 
Quelques mots de votre parcours ?
 
C'est une boucle qui part du dessin dans l'enfance et passe par la musique et l'écriture avant de revenir aux formes. J'ai fait des études de musique (conservatoire et musicologie) plutôt que les Beaux-arts, mais tout cela ne fait qu'un. Qu'il s'agisse des sons, des mots, des couleurs, des formes ou des matières, c'est toujours pour moi une question de rythme et d'harmonie. Il y a dans tout cela une grande similitude de “ton” : à l'origine le plaisir, le rire ou du moins le sourire dans la manière de dire.
J’ai sans doute trop écrit pour aimer encore les discours conceptuels ; tous ces propos abscons qui discourent « sur l’art » me saoulent. Avant tout, j'aime faire. Fabriquer. Travailler, donner du corps aux rêves.

 
Et la technique ?
 
Elle est mixte. Mixture même, mais c'est comme pour l'instrument, le chant ou l'écriture : elle vient en travaillant. On s'apprivoise, on se rôde à soi-même. Il faut toujours faire ses gammes. C'est peut-être là, d'ailleurs, la plus grande rupture entre ce courant auquel on veut bien me rattacher et ce qui, depuis plus d'un demi-siècle, est devenu l'art officiel : le travail artisanal. Quand le Facteur Cheval bâtit son palais idéal ou Jean Linard sa cathédrale, ils sont d'abord des maçons. Pas des “artistes” qui discourent sur la maçonnerie.
Il y a dans le travail manuel une noblesse qui m'enchante. C'est sans doute pourquoi j'aime tant travailler des matériaux qui ont vécu, de vieux outils, des objets usuels, des os, des carapaces… des reliquats et des reliquaires. Comme la limule ou l'oursin, la pelle à charbon ou l'écumoire ont une histoire qui me parle, me ravit au vrai sens du terme. Ce sont des portes ouvertes sur le fantastique, le merveilleux. Au fond je pratique un art du rêve, ou du “sur-réel”, qui par définition n'a pas d'âge.
 
Interview au magazine Flash - exposition “Chimères” 2012